Menace jihadiste : au Nigeria, Boko Haram se renforce

Un temps en perte de vitesse, les jihadistes de Boko Haram sont de nouveau à l’offensive au Nigeria. En cause, notamment, le renfort des combattants de l’État islamique qui ont fui le Moyen-Orient pour la zone sahélienne.

Le chef de l’État, en visite à Maiduguri, dans une région durement touchée par les attaques de Boko Haram, en avril. © Audu Ali MARTE/AFP

Le chef de l’État, en visite à Maiduguri, dans une région durement touchée par les attaques de Boko Haram, en avril. © Audu Ali MARTE/AFP

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Publié le 20 mai 2019 Lecture : 4 minutes.

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L’attaque a pris, une nouvelle fois, les soldats nigérians par surprise. Le 10 mai, plusieurs pick-up lourdement armés ont attaqué la base militaire de Gajiganna, à 50 km de Maiduguri. À leur bord, des combattants de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap), l’une des factions de Boko Haram, dirigée par Abou Abdullah Ibn Umar al-Barnawi. L’épisode a fait au moins trois morts du côté des militaires nigérians.

Les radicaux prennent le dessus

Des secouristes emportant l'une des victimes d'un attentat de Boko Haram à l'université de Maiduguri, en juillet 2017. © Makama Sule/AP/SIPA

Des secouristes emportant l'une des victimes d'un attentat de Boko Haram à l'université de Maiduguri, en juillet 2017. © Makama Sule/AP/SIPA

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Voilà plusieurs mois que les jihadistes multiplient les assauts sur les bases, profitant du repli de l’armée pour s’emparer du matériel de pointe, comme des blindés. Selon le Nigeria Security Tracker, les pertes militaires ont considérablement augmenté depuis juillet 2018, et Boko Haram, affaibli en 2016 et 2017, se renforce.

Les radicaux sont en train de reprendre le dessus, d’autant qu’ils reçoivent le renfort des combattants de l’EI qui ont fui le Moyen-Orient pour la zone sahélienne

Pour des raisons internes d’abord : « Les radicaux sont en train de reprendre le dessus, d’autant qu’ils reçoivent le renfort des combattants de l’EI qui ont fui le Moyen-Orient pour la zone sahélienne », explique un spécialiste de la question.

En août 2018, un de leurs chefs, Mamman Nur, a été exécuté par ses propres troupes sur ordre de l’État islamique. Il était soupçonné de s’être enrichi en détournant une partie des rançons du groupe. Info ou intox ? Sa mort a en tout cas mis en lumière les rivalités au sein de Boko Haram. « Nur était perçu comme trop modéré », ajoute notre expert.

Abubakar Shekau, qui avait succédé en 2009 au fondateur de la secte, Mohamed Yussuf, mais dont l’influence était contestée depuis 2015, en a profité. Si deux factions – celle de Shekau, plus radicale, et celle d’al-Barnawi, plus attachée au contrôle des territoires (au point d’y prélever des taxes) – coexistent, elles montent indéniablement en puissance.

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Une armée sous-équipée

L'armée nigériane à Maiduguri, en août 2013. Photo d'illustration. © Sunday Alamba/AP/SIPA

L'armée nigériane à Maiduguri, en août 2013. Photo d'illustration. © Sunday Alamba/AP/SIPA

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Surtout, l’armée nigériane est à la peine, et la Force multinationale mixte (Bénin, Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad) créée en 2014 montre les limites de la coopération entre États, notamment en matière de renseignement et de poursuite des jihadistes dans le pays voisin. Au Tchad, sept militaires ont été tués dans la nuit du 14 au 15 avril. Et, une semaine plus tôt, au Cameroun, dans l’Extrême-Nord, trois soldats ont trouvé la mort dans un affrontement avec des éléments de Boko Haram.

Beaucoup d’officiers de l’armée ne parlent même pas la langue des terrains qu’ils sont censés protéger. Ils sont incapables d’obtenir des renseignements de la part de la population

À la fin de 2018, Niamey et N’Djamena, également mobilisés dans le G5 Sahel, se sont plaints auprès d’Abuja de l’attitude de l’armée nigériane. Sous-équipée, gangrenée par la corruption, celle-ci permet selon eux aux jihadistes de trouver refuge dans des zones frontalières et est globalement sous le feu des critiques.

« Beaucoup d’officiers de l’armée ne parlent même pas la langue des terrains qu’ils sont censés protéger. Ils sont incapables d’obtenir des renseignements de la part de la population », déplore un chercheur. Pour y remédier, Abuja a poussé, dès 2013, à la création de la milice d’autodéfense locale, la Civilian Joint Task Force. Il a aussi ponctuellement engagé des spécialistes du renseignement, notamment la société du mercenaire sud-africain Eeben Barlow, tandis que Français et Américains prodiguent des formations. Mais l’impact a été limité.

>>> À LIRE – Nigeria : Boko Haram doit être « éliminé de la surface de la terre », assure Buhari

Malgré la déclaration, dès 2015, du président Muhammadu Buhari, qui estimait que Boko Haram était vaincu, son armée a été contrainte de relancer une opération, Last Hold, en avril 2018. Depuis, cette dernière s’est enlisée. Comme les précédentes.

Au Cameroun, des exactions à répétition

Des membres de la coalition régionale contre Boko Haram près de la ville de Fotokol, dans l'extrême nord du Cameroun, le 19 février 2015 (photo d'illustration). © Edwin Kindzeka Moki/AP/SIPA

Des membres de la coalition régionale contre Boko Haram près de la ville de Fotokol, dans l'extrême nord du Cameroun, le 19 février 2015 (photo d'illustration). © Edwin Kindzeka Moki/AP/SIPA

Comme le Nigeria, le Cameroun subit depuis plusieurs mois la recrudescence des attaques de Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord. Onze civils ont été tués le 19 avril à Tchakamari, tandis que le village de Gossi a été attaqué et incendié le 12 mai.

Malgré le quadrillage du Bataillon d’intervention rapide (BIR), Boko Haram multiplie les incursions, notamment dans la région de Fotokol, avec la zone de Gamboru, au Nigeria, comme base de repli.

Le groupe s’est même inséré dans l’économie locale : il a, dans certains marchés des localités frontalières, instauré une taxe pour les commerçants. Et plusieurs enlèvements ont eu lieu dans le Mayo-Sava et le Mayo-Tsanaga pour fournir en main-d’œuvre les champs contrôlés par les jihadistes.

Les exactions de Boko Haram ont cependant moins de retentissement qu’ils n’en avaient voilà quelques années, en raison du conflit, plus médiatique et plus meurtrier, qui sévit dans les régions anglophones du Cameroun. Selon l’International Crisis Group, en seulement vingt mois, la « crise anglophone » aurait généré 1 850 victimes – autant que Boko Haram en quatre ans.

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