Présidentielle en Centrafrique : Anicet-Georges Dologuélé ne dit pas non

Anicet-Georges Dologuélé, le candidat malheureux à la présidentielle de 2016 en RCA, est très remonté contre son ancien adversaire, Faustin-Archange Touadéra, et dénonce la main tendue à des leaders de groupes rebelles, dont plusieurs ont été nommés à la primature.

Anicet-Georges Dologuele (Republique Centrafricaine – RCA), ancien premier ministre, ex-président de la Banque de Developpement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC). Il cree en octobre 2013 l’Union pour le Renouveau Centrafricain (URCA), dont il est le candidat a l’élection presidentielle de 2015. Il est aussi depute de Bocaranga. A Paris, le 12.09.2016. © Vincent Fournier/JA

Anicet-Georges Dologuele (Republique Centrafricaine – RCA), ancien premier ministre, ex-président de la Banque de Developpement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC). Il cree en octobre 2013 l’Union pour le Renouveau Centrafricain (URCA), dont il est le candidat a l’élection presidentielle de 2015. Il est aussi depute de Bocaranga. A Paris, le 12.09.2016. © Vincent Fournier/JA

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 14 juin 2019 Lecture : 5 minutes.

C’est un silence poli que nous oppose notre visiteur. L’homme au costume bleu pétrole qui nous fait face, candidat à la présidentielle de 2016 (il avait terminé deuxième derrière Faustin-Archange Touadéra), a autant l’expérience des joutes dans les médias que des méandres de la politique de son pays. Anicet-Georges Dologuélé ne veut pas nous dire s’il compte repartir à la conquête du pouvoir en 2020. Le voilà donc officiellement dans nos locaux, mais en simple visiteur.

Quelques jours plus tôt, la Centrafrique a fait la une de l’actualité. Le 21 mai, une trentaine de civils ont été tués à une cinquantaine de kilomètres de Paoua, près de la frontière avec le Tchad, par des éléments du groupe armé 3R (Retour, réclamation, réconciliation). Leur chef, Bi Sidi Souleymane, alias Sidiki, avait pourtant été nommé le 24 mars conseiller à la primature dans le cadre de l’accord de paix de Khartoum. Le symbole d’un échec de ces accords et d’un « péché originel » du chef de l’État, Faustin-Archange Touadéra, selon Anicet-Georges Dologuélé.

Faustin-Archange Touadérae le 18 juillet, à Kigali, en marge du sommet de l’Union africaine. © Cyril Ndegeya pour J.A.

Faustin-Archange Touadérae le 18 juillet, à Kigali, en marge du sommet de l’Union africaine. © Cyril Ndegeya pour J.A.

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« Le président a voulu mettre en place une discussion exclusive entre le gouvernement et les groupes armés, en écartant la population, l’opposition, la société civile, explique-t-il. Résultat : les groupes étaient en position de force, et Touadéra leur a tout concédé parce qu’il ne pense qu’à sa survie politique. » Notre interlocuteur, député de Bocaranga (Ouham-Pendé), le sait pourtant : difficile, dans cette Centrafrique en crise, de composer sans les chefs rebelles. En 2015, lui-même avait parcouru le pays pendant la campagne pour rencontrer les leaders des groupes armés.

Touadéra donne aux rebelles de la légitimité, en plus d’un territoire qu’ils contrôlent déjà, et attend en échange qu’ils lui fassent la courte échelle en 2020

Mais avec l’onction de l’Union africaine et celle des Nations unies, qui ont avalisé l’accord, Faustin-Archange Touadéra a choisi de nommer Sidiki à un poste à responsabilité proche du sommet de l’État, tout comme Ali Darassa, chef de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), et Mahamat al-Khatim, du Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC). « Touadéra donne aux rebelles de la légitimité, en plus d’un territoire qu’ils contrôlent déjà, et attend en échange qu’ils lui fassent la courte échelle en 2020 », déplore Dologuélé, qui parle d’une « main tendue qui affaiblit l’État ».

« Seconds couteaux »

Depuis l’attaque du 21 mai, et malgré le fait que les Nations unies ont dénoncé ces exactions, Sidiki n’a pas été inquiété. Les accords de Khartoum disposaient pourtant que la Minusca serait chargée de « détenir tous ceux qui se livreraient directement ou indirectement à des actes qui violent les dispositions de l’accord ou de nature à compromettre la paix, la stabilité ou la sécurité de la République centrafricaine ».

« Ces sanctions ne sont que théoriques. En réalité, les groupes armés se sont habitués à ce que la Minusca n’agisse pas, s’inquiète Anicet-Georges Dologuélé. La mission de l’ONU n’est pas faible, mais il est clair qu’elle ne frappe pas de manière assez régulière et que les chefs de guerre savent profiter de cet attentisme. »

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Dès lors que les chefs de groupes armés contrôlent environ 80 % du territoire, Bangui a-t-il les moyens de sévir ? En novembre, Alfred Yekatom, un anti-balaka soupçonné de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, a été extradé vers la Cour pénale internationale (CPI).

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Mais « Rambo », comme il est surnommé, reste le seul à ce jour à avoir subi ce sort (Patrice-Édouard Ngaïssona, un autre ex-anti-balaka, a été extradé depuis la France). « On s’attaque aux seconds couteaux, mais les vrais criminels ne sont pas inquiétés », s’indigne Dologuélé. Et d’insister : « Pourtant, la Minusca a les moyens d’aller les arrêter. »

L’ancien Premier ministre (1999-2001) de 62 ans a d’ailleurs tenu le même discours à Mankeur Ndiaye, nommé le 6 février dernier à la tête de la mission des Nations unies en remplacement du Gabonais Parfait Onanga-Anyanga. Mais si l’ancien ministre des Affaires étrangères sénégalais s’est apparemment montré réceptif, Sidiki n’a pas été sanctionné.

« Envoyés à la boucherie »

Au-delà des forces onusiennes, quid des forces armées centrafricaines ? Le 18 mai, une centaine de soldats – 106 exactement – ont fait leur retour à grand renfort de communication à Kaga-Bandoro, dans la préfecture de Nana-Grébizi (après Paoua, Bouar, Sibut, Bangassou, Obo et Alindao). La ville est toujours tenue par Mahamat al-Khatim et Noureddine Adam, le patron du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), mais cette décision a été saluée comme un symbole.

Ce que conteste Anicet-Georges Dologuélé. « On déploie une centaine de soldats dans une zone où les combattants des groupes armés sont des milliers. Soit c’est de la communication, soit on les envoie à la boucherie. Dans tous les cas, ce n’est pas acceptable », conclut-il.

Anicet-Georges Dologuélé à Paris, le 12 septembre 2016. © Vincent Fournier/JA

Anicet-Georges Dologuélé à Paris, le 12 septembre 2016. © Vincent Fournier/JA

« On », c’est bien sûr Faustin-Archange Touadéra, contre lequel notre visiteur du jour est très remonté. « Il n’est pas capable de gouverner et s’est entouré d’une équipe de bras cassés », tacle-t-il. Et de poursuivre avec une description peu flatteuse de son (ancien) adversaire :

Présidentielle 2020

« C’est un homme seul, qui a assujetti l’administration et les institutions à son parti-État. Il ignore les démocrates et la classe politique au profit des groupes armés et de la force militaire. Dans un pays qui aspire à construire sa démocratie, c’est intolérable », juge Anicet-Georges Dologuélé, qui estime que les conditions d’un retour au pays des présidents François Bozizé (2003-2013, en exil en Ouganda) et Michel Djotodia (2013-2014, réfugié au Bénin) devraient être mises en place.

Une heure d’entretien a passé. La conversation nous ramène à la prochaine présidentielle, dont le premier tour est prévu à la fin de l’année 2020. Nous tentons une seconde fois notre chance : sera-t-il candidat ? L’intéressé sourit. « C’est un peu loin et je me conformerai à la décision de mon parti [l’Urca, pour Union pour le renouveau centrafricain], dont le congrès n’aura sans doute lieu qu’en fin d’année », élude-t-il. « Cela veut dire oui ? » hasardons-nous. « Cela ne veut pas dire non. »

Rivalité franco-russe

Depuis plusieurs mois, Français et Russes se livrent une bataille diplomatique à Bangui. Trente soldats de Moscou vont intégrer la Minusca, tandis que de nouvelles livraisons d’armes russes sont attendues en Centrafrique. À Paris, la diplomatie française s’inquiète d’être mise à l’écart. Un jeu d’influence qui ne plaît guère à Anicet-Georges Dologuélé.

>>> À LIRE – Centrafrique : la garde rapprochée russe du président Touadéra

« Le gouvernement du pays le plus faible de la planète est en train d’orchestrer une rivalité entre deux grandes puissances du Conseil de sécurité de l’ONU, s’inquiète-t-il. Dans le cadre des Nations unies et des relations bilatérales, on peut avoir des relations avec Moscou sans forcément humilier Paris, qui est très influent auprès d’institutions comme le FMI par exemple ».

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