Soudan : après la répression sanglante, Abdel Fattah al-Burhane sur le fil du rasoir

Depuis que les militaires soudanais ont tiré sur les manifestants le 3 juin, faisant une centaine de morts, le patron de la junte, Abdel Fattah al-Burhane, qui bénéficie du soutien des Égyptiens et des Saoudiens, est dans le collimateur de l’Union africaine.

Le chef du Conseil militaire de transition a présenté ses excuses et s’est dit prêt à négocier. © EPA/MAXPPP

Le chef du Conseil militaire de transition a présenté ses excuses et s’est dit prêt à négocier. © EPA/MAXPPP

CRETOIS Jules

Publié le 12 juin 2019 Lecture : 4 minutes.

Les Soudanais ont pour la plupart découvert son visage le 12 avril. Alors que, depuis des semaines, des milliers de personnes campent sur la place dite al-Qiyadah, à Khartoum, pour exiger la démocratie, le lieutenant général Abdel Fattah al-Burhane prend ce jour-là la tête du Conseil militaire de transition (CMT), qui a été mis en place après la chute du président Omar el-Béchir. Les manifestants applaudissent à l’annonce de la nomination de ce haut gradé très discret. N’appelaient-ils pas, depuis le début du mois, les militaires à les rejoindre ?

Il faut dire que Burhane paraît avoir des arguments. Nommé en début d’année à l’inspection générale de l’armée, le sexagénaire n’est pas un pilier de l’ancien régime. Contrairement à Aoud Ibn Awf, qui a dirigé le CMT pendant quelques heures avant de lui céder la place, il n’a jamais été sanctionné par Washington.

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Tournant répressif

Une barricade érigée par des contestataires pour ralentir l'avancée de l'armée et des milices, le 5 juin dans une rue de Khartoum. © Mohammed Najib/AP/SIPA

Une barricade érigée par des contestataires pour ralentir l'avancée de l'armée et des milices, le 5 juin dans une rue de Khartoum. © Mohammed Najib/AP/SIPA

Des femmes ont été violées et des corps jetés dans le Nil

Il ne fait pas non plus partie de ces officiers qui, tel l’ancien ministre de la Défense, Abdel Raheem Muhammad Hussein, sont recherchés par la Cour pénale internationale (CPI). Originaire de la ville de Chendi, dans le nord du pays, il a eu soin, lors de ses premières apparitions télévisées, de donner des gages aux manifestants : il annonce la libération de prisonniers et la démission de Salah Gosh, le patron du National Intelligence and Security Service (Niss), les redoutés services de renseignements.

Las, l’espoir a fait long feu. Le 3 juin, l’armée a tiré sur les manifestants installés en face du QG de l’armée, tuant plus d’une centaine de personnes selon le Comité des médecins soudanais. Des femmes ont été violées et des corps jetés dans le Nil.

Qui est responsable ? Burhane lui-même ou la frange la plus radicale de son entourage ? La répression a été menée par les Forces de soutien rapide (RSF), connues pour leur rôle dans la guerre au Darfour. Or celles-ci sont dirigées par le numéro deux du CMT, Mohamed Hamdan Dagolo, plus connu sous le nom de Hemetti. Les beaux discours de Burhane sur le passage de relais à un pouvoir civil semblent loin.

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Luttes internes et jeux diplomatiques

Des militaires soudanais, à Khartoum le 9 avril 2019 (illustration). © © AP/SIPA

Des militaires soudanais, à Khartoum le 9 avril 2019 (illustration). © © AP/SIPA

La tension entre les différents corps d’armée est désormais palpable

Ces derniers jours, il a paru dépassé. Le 6 juin, l’Union africaine a suspendu le Soudan et exigé « l’établissement effectif d’une autorité civile de transition ». Est-il pour autant isolé ? Pas sûr. Car, depuis son arrivée à la tête du CMT, il s’est montré actif sur la scène diplomatique. Soucieux de redonner du poids à Khartoum dans la Corne de l’Afrique, il s’est entretenu avec le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, avec le président sud-soudanais, Salva Kiir, et avec le ministre des Affaires étrangères de l’Érythrée.

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En parallèle, il a cherché le soutien de pays qui voient d’un mauvais œil ce nouveau printemps arabe et africain, s’appliquant à inscrire Khartoum sur un axe Le Caire-Riyad-Abou Dhabi. Le 25 mai, il s’est entretenu avec le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, auquel on le compare parfois (comme lui, il a profité d’une révolution pour se poser en garant de la sécurité du pays). Il s’est ensuite envolé pour rencontrer le prince héritier émirati, Mohammed Ben Zayed, puis le Saoudien Mohammed Ben Salman. Dans le même temps, le bureau soudanais de la chaîne qatarie Al-Jazira, honnie par Riyad, a été fermé.

Surtout, le CMT a réaffirmé à l’Arabie saoudite son soutien dans la guerre au Yémen : Burhane a lui-même commandé les forces terrestres soudanaises qui y ont été déployées, selon les médias de Khartoum, et diverses sources font état de la participation de plus de 10 000 Soudanais à cette guerre depuis son déclenchement (beaucoup avaient combattu au Darfour et au Kordofan).

30px;text-align: left">>>> À LIRE – Soudan : l’armée annule ses accords avec les contestataires et appelle à des élections

Burhane a donc acté la rupture avec l’Iran et le Qatar, amorcée sous la présidence d’El-Béchir, et rejoint le bloc arabe conservateur. En échange, la junte qu’il dirige a reçu des soutiens : les Nimr, ces véhicules blindés made in Émirats foncent dans les rues de Khartoum, et les annonces d’investissements saoudiens et émiratis se multiplient.

Les événements du 3 juin vont-ils tout remettre en question ? C’est peu probable. Mais il est difficile de connaître le rapport des forces à l’intérieur de la junte. Quelles sont les relations entre Burhane et Hemetti ? L’un peut-il s’imposer au détriment de l’autre ?

Une chose est sûre : après la répression menée contre les manifestants, la tension entre les différents corps d’armée était palpable, et une partie du CMT paraît souhaiter que Hemetti se retire. Burhane, lui, a présenté des excuses et serait prêt à rouvrir les négociations.

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