Congo-Brazzaville : des entrepreneurs biocompatibles qui gagnent

Ils ont la volonté de produire naturel, d’alimenter le marché local et d’investir dans la transformation. Jardins maraîchers, vergers et fermes d’élevage ont ainsi vu le jour. Florilège de promoteurs verts.

Florent DECKOUS © Muriel Devey Malu-Malu pour JA

Florent DECKOUS © Muriel Devey Malu-Malu pour JA

Publié le 4 septembre 2019 Lecture : 5 minutes.

Le président congolais Denis Sassou Nguesso, à l’Élysée le 30 septembre 2019. © Kamil Zihnioglu/AP/SIPA
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Congo-Brazzaville : après la tempête…

S’il reprend peu à peu le chemin de la croissance, le pays doit encore faire ses preuves en matière de bonne gouvernance et miser enfin sur l’agriculture et l’essor d’un véritable « green business » écoresponsable.

Sommaire

• Florent Deckous, businessman farmer

Agrideck Congo, l’exploitation créée en 2012 par Florent Deckous près de Ditadi, à quelques kilomètres de Dolisie, s’étend sur près de 470 ha. Ingénieur agronome formé à l’université Vassili-Dokoutchaïev, en Ukraine, et en gestion des entreprises à la University of North London, ce fils d’agriculteurs de Loudima, dans la Bouenza, a passé quinze ans dans la cité britannique, où il a travaillé pour Arla Foods, le géant scandinave des produits laitiers.

Après s’être d’abord concentré sur le maraîchage, il décide en 2016 de restructurer les activités de sa ferme agropastorale autour de quatre pôles : manioc, arboriculture, élevage et pisciculture. Les champs de manioc s’étendent sur plus de 115 ha. Le verger se compose d’ananas (85 000 pieds), de bananiers et de plus de 2 000 arbres fruitiers (manguiers, safoutiers, avocatiers et agrumes).

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Côté élevage, Agrideck compte presque tous les animaux de la ferme : poules pondeuses, poulets, canards, oies, pintades, porcs, mais aussi moutons, chèvres, vaches et bœufs. Pour la pisciculture, l’exploitation abrite plusieurs étangs, où abondent tilapias et silures, et pas moins de dix-huit lacs… Ce qui permet d’étendre les activités au tourisme vert, avec l’installation de petits bungalows.

Florent Deckous a aussi développé un volet transformation, qui prend de l’ampleur et se diversifie : saka-saka (feuilles de manioc) frais, séché ou congelé (et bientôt précuit), foufou de manioc, piment frais ou écrasé, pâte d’arachide, fumbwa (feuilles d’amarante), pain de courge, graines de courge pilées, pois d’Angole cuits, porc fumé… Frais ou transformés, en vrac ou conditionnés, les produits sont commercialisés à Dolisie, à Pointe-Noire et à Brazzaville.

Florent Deckous, qui expédie déjà des commandes en France, compte développer l’exportation dans quelques villes de l’Hexagone et vise aussi le marché nord-américain, sans oublier celui de Kinshasa. Il mise aussi sur le lancement (imminent) d’une gamme de confitures de fruits locaux (tondolos, malombos, miguengués, tchiu-tékés), une niche porteuse à l’export. Reste à régler la question des financements pour continuer de faire grandir l’exploitation, dont les investissements ont jusqu’à présent été réalisés sur fonds propres.

• Rui Frédéric Barreto, Poule qui rit, poule qui pond

Rui Frédéric Barreto, en juillet, à Pointe-Noire. © Muriel Devey Malu-Malu pour JA

Rui Frédéric Barreto, en juillet, à Pointe-Noire. © Muriel Devey Malu-Malu pour JA

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Difficile de dire si ses poules rient. En tout cas, elles caquettent à longueur de journée, comme pour célébrer les 65 000 œufs pondus chaque jour. En 2007, le Franco-Portugais Rui Frédéric Barreto, Congolais de cœur, crée sa petite ferme avicole, La Poule qui rit, à Pointe-Noire, pour développer la production locale d’œufs et réduire les importations. Deux ans plus tard, il installe son exploitation sur un site de 5 ha, dans le district de Tchiamba-Nzassi (à 35 km au sud de la cité océane).

La ferme abrite aujourd’hui 80 000 gallinacés : poules pondeuses, poulettes et poussins. Chaque classe d’âge a son bâtiment, pour éviter les contaminations, et tout a été modernisé pour répondre aux normes européennes en matière de sécurité sanitaire et de bien-être des animaux : aération, système de refroidissement, nettoyage, pipettes pour boire, linéaires de mangeoires, etc. Avec la vaccination et l’hygiène, l’alimentation est une préoccupation majeure pour les vétérinaires et la cinquantaine d’employés.

Poule qui rit, poule qui pond © M. Devey Malu-Malu pour JA

Poule qui rit, poule qui pond © M. Devey Malu-Malu pour JA

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Au menu : du maïs, de plus en plus difficile à trouver localement, du son de blé fin, du calcaire et de l’argile en provenance de la Bouenza voisine, de l’huile de palme et des micro-­ingrédients. Et parfois du soja importé. Tous les deux mois, entre 6 500 et 14 000 poussins sont également importés par avion depuis la France.

Lorsqu’elles atteignent l’âge de 3 ans, les poules sont vendues aux commerçantes des marchés de Pointe-Noire. Pas de place pour les sentiments. La concurrence des œufs importés n’est jamais loin. Il faut être compétitif. La clientèle ? Des restaurants, des hôtels, des sociétés de catering, des échoppes d’Ouest-Africains, des supérettes et des supermarchés à Pointe-Noire et à Brazzaville.

• Franck Makoye, meilleur espoir maraîcher

Franck Makoye, meilleur espoir maraîcher © Muriel Devey Malu-Malu pour JA

Franck Makoye, meilleur espoir maraîcher © Muriel Devey Malu-Malu pour JA

C’est en 2015 que Franck Makoye fonde Day Enterprise avec une douzaine d’associés. Près de Boko, dans le sud du Pool, l’équipe se lance d’abord dans la culture du maïs, puis de la tomate, en utilisant des techniques d’irrigation innovantes. En mars 2016, l’ingénieur agronome est sacré lauréat de la première édition du challenge « Startupper de l’année » organisé par Total E&P Congo. Mais au même moment, la crise politico-militaire qui éclate dans le département contraint la jeune entreprise à tout remettre en question.

Grâce au prix remporté – 12,5 millions de F CFA (19 000 euros) et à l’appui à la gestion apporté par la société Aries Investissements –, Franck Makoye relance les activités de Day Enterprise à Pointe-Noire. Le résultat est encourageant. Ses tomates « agroécolos » sont cultivées sur 1 ha, pour moitié hors sol, avec un système d’irrigation par goutte-à-goutte, et pour l’autre moitié en « maraîchage tradi-­moderne ». Le chiffre d’affaires est passé de 12 millions de F CFA en 2015 à 79 millions de F CFA en 2018.

Franck Makoye, meilleur espoir maraîcher © Muriel Devey Malu-Malu pour JA

Franck Makoye, meilleur espoir maraîcher © Muriel Devey Malu-Malu pour JA

L’une des particularités de Day Enterprise est l’appui technique et la formation à la gestion qu’elle offre aux agriculteurs-partenaires dont elle commercialise les produits. Franck Makoye se distingue aussi par le recours aux réseaux sociaux, en particulier WhatsApp, pour servir sa large clientèle – hôtels, restaurants, cantines, sociétés de catering, boutiques, particuliers, etc.

Son objectif est d’installer des centres de collecte des produits agricoles près des zones de production, d’ouvrir des points de vente de proximité dans les grandes villes… Et de devenir leader de la distribution de produits bio en zone Cemac.

• Clenne Mouangou, éleveuse en quête de fonds

Clenne Mouangou à Paris le 10 jullet 2019. © Bruno Levy pour JA

Clenne Mouangou à Paris le 10 jullet 2019. © Bruno Levy pour JA

Tee-shirt blanc, coupe au carré, allure chic décontractée, Clenne Mouangou est de passage à Paris. La directrice générale et fondatrice de CM Agrobusiness intervient dans des forums sur l’entrepreneuriat, dans des écoles, et vient aussi démarcher les investisseurs. La Congolaise de 37 ans a fondé sa société d’élevage porcin en 2015 et veut désormais créer une unité de transformation pour fabriquer de la charcuterie, un projet qui nécessite un investissement d’au moins 100 millions de F CFA (environ 150 000 euros).

Rien ne la prédisposait à une carrière dans l’agroalimentaire. Après un mastère 2 en finance à l’École supérieure de gestion (ESG) de Paris et plusieurs années en tant que chargée de clientèle ou analyste dans de grandes banques de Paris et de La Défense, Clenne Mouangou aspire à « faire quelque chose qui ait du sens ». Et cela passe par son Congo natal, qu’elle a quitté enfant avec ses parents.

« J’ai voulu que les Congolais aient plus facilement accès à ces produits, qui sont chers car importés » Clenne Mouangou

Elle ouvre plusieurs boutiques de vêtements à Brazzaville, mais, rapidement, l’idée de la ferme s’impose. « À chacun de mes retours de France, mes amis me demandaient si j’avais rapporté des saucissons. J’ai voulu que les Congolais aient plus facilement accès à ces produits, qui sont chers car importés. » Elle acquiert 1 ha de terrain à Linzolo, dans le Pool (à 20 km de Brazzaville), y construit les bâtiments nécessaires et y installe son élevage.

Si la crise sécuritaire dans le département l’a contrainte un temps à réduire ses activités, elle a désormais réinvesti sa ferme, « mais en repartant presque de zéro ». Avec trois employés, au lieu de sept auparavant, un cheptel d’une centaine de têtes et quelques dizaines d’ares de manioc, de maïs et de soja. Des investisseurs se montrent intéressés, mais leurs conditions – être majoritaires dans le capital de la société – ne conviennent pas Clenne Mouangou. La fabrication de produits charcutiers lui ouvrirait évidemment de nouvelles perspectives de développement sur le marché domestique. Et, pourquoi pas, sur celui de Kinshasa et de ses 12 millions d’habitants.

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