Avec « Papicha », « Pour Sama » et « Sœurs d’armes », trois réalisatrices s’en vont en guerre

Waad al-Kateab, Mounia Meddour et Caroline Fourest ont choisi de raconter la guerre, un genre cinématographique jusque-là monopolisé par les hommes.

Dans Papicha, l’héroïne veut organiser un défilé de mode dans son université d’Alger. © Jour2fete

Dans Papicha, l’héroïne veut organiser un défilé de mode dans son université d’Alger. © Jour2fete

Renaud de Rochebrune

Publié le 16 octobre 2019 Lecture : 5 minutes.

War on Screen, le principal festival européen consacré aux films de guerre, qui s’est achevé le 6 octobre à Châlons-en-Champagne, dans le nord-est de la France, a décerné ses principaux prix à deux films réalisés par des femmes : Sama, de la Syrienne Waad al-Kateab, et Papicha, de l’Algérienne Mounia Meddour, sortis en France le 9 octobre, en même temps que Sœurs d’armes, d’une troisième réalisatrice, la Française Caroline Fourest, lui aussi un film de guerre, comme l’indique son titre.

Trois cinéastes femmes sortant des films le même jour, c’est déjà peu banal. Mais que de surcroît ces longs-­métrages, trois premiers films, soient tous consacrés à un genre qui est en général l’apanage des hommes, voilà qui est vraiment extraordinaire. Cela permet-il de repérer une spécificité des films de guerre réalisés par des femmes ? Il semble bien que les réalisatrices de tels longs-métrages soient en fait… des hommes comme les autres. Certes, sur le fond, les réalisatrices ont choisi ici des sujets centrés sur des femmes. Mais c’est à peu près tout. Et leurs mises en scène, à rebours des clichés sexistes, ne sont pas moins violentes que celles des hommes.

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Papicha, de Mounia Meddour

Ce n’est pas un hasard bien sûr si l’héroïne de ce film porte le beau prénom de Nedjma, celui qui a donné son titre au roman culte si dérangeant de Kateb Yacine. La Nedjma de Mounia Meddour est une jeune étudiante d’Alger qui vit à la cité universitaire dans les années 1990, alors que les islamistes veulent imposer leur vision de la société, et qu’on s’enfonce dans les années noires de la guerre civile. Attachée à son indépendance, désireuse de devenir styliste, elle entend organiser un défilé de mode à l’université avec la complicité de sa meilleure amie, Wassila. Envers et contre tout et tous, à commencer par les barbus et, plus encore, par leurs homologues féminines étudiantes qui organisent des patrouilles de femmes en hijab pour imposer leur loi. Lors du défilé, les « mannequins » devront porter des robes qui seront autant de détournements habiles et très esthétiques du vêtement traditionnel, le haïk. Mais Nedjma sous-estime le danger qu’elle affronte.

Le film raconte le parcours d’une jeune fille éprise de liberté et qui se lance dans un combat contre l’obscurantisme, quitte à payer le prix de ses convictions. Au premier rang desquelles le refus d’accepter ce contrôle du corps des femmes que veulent imposer les intégristes. L’histoire est en grande partie autobiographique, puisque la réalisatrice a été étudiante à Alger avant de devoir s’exiler en France. Son père, cinéaste lui-même, étant menacé de mort par les islamistes.

Tout, à l’époque, je m’en souviens bien, était vécu dans l’urgence

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C’est peut-être ce qui explique que Papicha soit un film sans beaucoup de nuances. Mené sur un rythme trépidant, il ne laisse aucun répit et, par là même, aucune possibilité de recul au spectateur. Ce qu’on peut regretter : le style du film ne risque-t-il pas de le rendre inoffensif ? « C’est un choix tout à fait volontaire, que j’assume, assure la réalisatrice. Le temps de la réflexion, on peut le prendre après avoir vu le film. Et de toute façon, tout, à l’époque, je m’en souviens bien, était vécu dans l’urgence, on ne réfléchissait pas trop, on devait avant tout continuer de vivre. »

Les autorités actuelles de l’Algérie, pour leur part, après avoir envisagé de lui faire porter les couleurs de l’Algérie comme candidat à l’oscar du Meilleur Film étranger, ont tout simplement interdit l’avant-première de Papicha à Alger, à la mi-septembre. Sans explication à ce jour. Validant ainsi de facto le combat de Nedjma pour la liberté et désormais celui de la cinéaste et de toute son équipe pour que le film soit vu.

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Pour Sama, de Waad al-Kateab

Ce film tourné par la jeune Syrienne Waad al-Kateab, avec le concours, lors du montage et de la finition, du grand documentariste britannique Edward Watts ne peut que faire forte impression. Son matériau brut : des images filmées au téléphone portable par cette apprentie réalisatrice à Alep durant le siège de la ville par les troupes de Bachar al-Assad, alors que la population subissait en permanence des attaques de l’aviation russe ou des hélicoptères de l’armée « régulière » larguant des barils d’explosifs.

Mais ce long-métrage n’est pas seulement un documentaire choc sur une guerre d’une violence et d’une cruauté infinies, ce dont témoignent particulièrement toutes les scènes tournées dans l’hôpital où vit la réalisatrice, et qui n’est pas épargné – c’est même une cible privilégiée – par les bombardements. Car il s’agit aussi d’une sorte de lettre filmée adressée par l’autrice à sa fille née pendant cette guerre, et à qui elle veut laisser une trace de ces moments à la fois tragiques et intenses et que sa mère, son père – le médecin de l’hôpital – et elle-même, encore incapable de comprendre ce qui lui arrivait, ont vécu. Un long-métrage à la fois réaliste et intime dont les images vous poursuivent longtemps.

• Sœurs d’armes, de Caroline Fourest

Y a-t-il des sujets maudits au cinéma ? On pourrait le penser en voyant la première fiction de la journaliste féministe française Caroline Fourest. Il y a un peu plus d’un an sortait en effet Les Filles du soleil, d’Eva Husson, qui racontait avec emphase et d’une façon mélodramatique à la limite du supportable le séjour sur le front d’une journaliste française venue couvrir les combats héroïques d’un bataillon de femmes kurdes luttant contre Daesh, avec à leur tête une ancienne prisonnière des jihadistes. Aujourd’hui, c’est presque le même sujet que traite Sœurs d’armes.

Deux jeunes Françaises partent rejoindre des combattantes kurdes. Elles rencontrent au sein de cette sorte de brigade internationale anti-islamiste une jeune Yézidie qui a pu s’enfuir après avoir été enlevée et réduite en esclavage par un jihadiste d’origine britannique et qui entend désormais se venger. Le film, au budget important, qui vise le grand public et ne lésine pas sur les scènes de bataille spectaculaires, ne frise pas le ridicule comme le précédent, car la réalisation est mieux maîtrisée et le scénario moins simpliste. Mais le résultat est à peine plus convaincant, tant les personnages de ce récit manichéen manquent de complexité.

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