Gabon : la nouvelle vie de Maixent Accrombessi, l’ancien bras droit d’Ali Bongo Ondimba

On le disait affaibli, mais il fait preuve de résilience. Aujourd’hui, c’est loin de Libreville, où il ne se rend qu’épisodiquement, que l’ancien tout-puissant directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba poursuit son chemin.

Maixent Accrombessi fut l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba. © DR

Maixent Accrombessi fut l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba. © DR

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 15 novembre 2019 Lecture : 8 minutes.

Cela faisait plusieurs mois qu’il n’était pas venu à Libreville, mais l’occasion valait bien le déplacement. Maixent Accrombessi est arrivé dans la capitale gabonaise le 16 octobre. Féru de spiritualité et de symbolisme, il a profité du dixième anniversaire de l’accession à la présidence de son ami Ali Bongo Ondimba pour effectuer un voyage aussi discret que bref au Gabon. Il a quitté le pays dès le lendemain, mais peu importe. Qu’il soit à Libreville ou ailleurs, l’ex-numéro deux du Palais du bord de mer, qui a longtemps inspiré autant le respect que la crainte, continue à alimenter toutes sortes de fantasmes. « Maixent » est revenu et, avec lui, les fantômes du passé.

L’accueil fut donc frais, en dépit de la touffeur des orages balayant l’Estuaire du Komo. Rares sont ceux qui ont vu l’ancien tout-puissant directeur de cabinet du chef de l’État, aujourd’hui âgé de 54 ans. Il faut dire que, à la présidence, dans la haute administration et jusque dans les rangs du Parti démocratique gabonais (PDG), ses troupes ont été décimées. Ses proches au gouvernement (tels Yves-Bertrand Manfoumbi ou Ali Akbar Onanga) ont été écartés, ceux qui se réclamaient de lui font profil bas. Lui-même a été évincé, le 29 mars, de son poste de haut représentant du président, signe du crépuscule de ce personnage que le journaliste Pierre Péan décrivait comme « l’homme le plus haï du pays » (Nouvelles Affaires africaines, Fayard, 2014).

Je n’ai qu’un seul ami à Libreville : Ali Bongo Ondimba !

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La disgrâce n’aura pas duré. La preuve : lors de ce séjour au Gabon, il a vu le président. Les liens qui les unissent sont toujours forts. « Je n’ai qu’un seul ami à Libreville : Ali Bongo Ondimba ! » a récemment confié Maixent Accrombessi à l’un de ses proches. Peut-il revenir ? « Non ! Il a fait un accident vasculaire cérébral. Je ne crois pas qu’il soit en capacité de retravailler à ce niveau de responsabilité auprès du président », poursuit la même source. Qui s’empresse d’ajouter que le fait qu’il soit de nouveau revenu à Libreville, le 7 novembre au soir, n’a « rien à voir » avec l’éviction de Brice Laccruche Alihanga, l’influent directeur de cabinet du président, annoncée quelques heures plus tôt.

Coups du sort

Qui ne se souvient pas du fracas de l’annonce qui tétanisa le pouvoir la veille de l’élection présidentielle du 27 août 2016 ? Dans la nuit du 17 au 18 août, la grande carcasse d’Accrombessi s’est effondrée sous le poids des difficultés de la campagne et des retards dans la mise en œuvre des programmes, raconte un ancien de la présidence. Comme lui, tout l’entourage du chef de l’État est exténué par une fin de mandat pénible.

Depuis quelques mois, on eut dit que le sort s’acharnait. Il y eut d’abord la publication de livres à charge. Puis vint l’offensive judiciaire des opposants contestant l’authenticité de l’acte de naissance du président, en même temps que les coups bas de certains membres de la fratrie présidentielle lavant, devant des juges français, le linge sale de la succession à rebondissements du patriarche Omar.

Tous ces tourments lui sont infligés alors que le camp présidentiel tarde à financer sa campagne faute d’argent dans des caisses d’État peu pourvues à cause de la baisse des ressources pétrolières. À ce sombre tableau, il faut ajouter l’aléa politique dû à une suspicion généralisée de déloyauté au sein du camp présidentiel, alors que les démissions s’enchaînent, que des personnalités claquent la porte du parti au pouvoir pour passer à l’ennemi intime, Jean Ping… Sur le tableau de bord du cabinet, tous les clignotants sont au rouge. La présidentielle s’annonce incertaine.

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Physiquement diminué

Au cœur du dispositif, Accrombessi souffre d’hypertension artérielle (« il avait 24 de tension ! » assure un proche). Il refuse pourtant de laisser à un autre le soin de diriger l’appareil qu’il a conçu pour faire gagner Ali Bongo Ondimba. Qui, à part lui, pouvait diriger ce cabinet hissé durant ce mandat à un niveau de puissance inédit dans l’histoire politique et institutionnelle du pays ?

Accrombessi était à la fois le bouclier qui prenait les coups destinés au président et le fusible qui le protégeait

Il est multitâche, couche-tard, diabétique, il enchaîne les cigarettes… Son mode de vie aggrave son cas. Il finit par s’écrouler, « vaincu par les mânes vengeurs de nos ancêtres en lutte contre ce prêtre vaudou qui a envoûté notre président », se gargarisent les pourfendeurs de la « légion étrangère », qui n’ont cessé d’attaquer cet homme né au Bénin. Évacué au Maroc, Accrombessi s’en sort sans séquelles cognitives, mais physiquement diminué par une hémiplégie qui l’empêche, aujourd’hui encore, de marcher sans difficulté.

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Le 24 octobre 2018, c’était au tour d’Ali Bongo Ondimba d’être terrassé par un AVC. « Accrombessi était à la fois le bouclier qui prenait les coups destinés au président et le fusible qui le protégeait », résume un politologue gabonais. À ceux de ses amis qui lui demandent de revenir pour « aider », Accrombessi ne répond pas. Il ne veut pas replonger dans le chaudron.

Poursuivant sa convalescence, il s’établit au Bénin – entre deux voyages au Sénégal et en Côte d’Ivoire, il y a investi dans l’immobilier –, où il a été élevé au rang de « dah », le 24 mars, au palais royal d’Abomey. « Rien à voir avec le vaudou, qui est une religion traditionnelle, s’empresse d’expliquer un de ses intimes. Son rôle est de perpétuer la tradition. » Son intronisation au Bénin n’échappe pas à la vindicte de ses contempteurs. On y voit la trahison d’un binational. Le président lui en tient-il rigueur ? « Non, répondent des proches du Palais. Ali Bongo Ondimba partageait avec son collaborateur une certaine fascination pour la royauté. Il a visité le palais d’Abomey et savait qu’un jour Maixent succéderait à son père. »

Jeune homme pressé

Décédé en 2016, Médard Accrombessi a occupé ce fauteuil pendant près de trente ans. Ce vétéran de la guerre d’Algérie, où il a combattu dans les rangs de l’armée française, formé à l’École nationale des sous-officiers d’active (Ensoa), basée à Saint-Maixent-l’École, fut à ce point marqué par son séjour dans la petite commune de l’ouest de la France qu’il en donna le nom à son fils. C’est aussi de son père que Maixent tient son rapport complexe à la spiritualité.

Il est fasciné par les civilisations anciennes, mais aussi ballotté entre cultes ancestraux africains et ordres initiatiques occidentaux. Étudiant en école de commerce, il est initié à la franc-maçonnerie à la fin des années 1980 au sein du Grand Orient, la plus ancienne obédience de France. DEA d’économie en poche, il fait la connaissance d’Omar Bongo Ondimba sous les colonnes et n’hésite pas à passer à la Grande Loge nationale de France (GLNF), l’obédience rivale, pour y retrouver le « doyen de la Françafrique », qui est entre-temps devenu son mentor.

Jeune homme pressé, il soigne ses liens avec les « frères » proches des milieux politiques français, comme le criminologue Alain Bauer. Proche d’André Mba Obame, il deviendra aussi un intime d’Ali Bongo Ondimba. Ce dernier en fait son conseiller au ministère de la Défense. Plus tard, un autre conseiller financier venu du secteur privé rejoindra l’équipe en la personne de… Brice Laccruche Alihanga.

Dans le même temps, Bongo père « adopte » Accrombessi, naturalisé en 1996. En 2006, il l’initie au Ndjobi, une société secrète ésotérique, active au Gabon et au Congo, avec le titre nobiliaire de « nkani ». Le « patriarche » lui offre également la maison que lui-même occupait entre 1962 et 1965, lorsqu’il dirigeait le cabinet de Léon Mba. Le voilà ressortissant de Bongoville, le fief familial. En juin 2009, avant d’effectuer l’ultime voyage de Barcelone, où il décédera, le président confie à « Ali » et à « Maixent » les clés du Palais.

Mazarin, pas Raspoutine

Chef de meute des « émergents » lors du premier mandat, dernier verrou avant le bureau du chef de l’État, il fait l’objet des attaques les plus virulentes. S’il a le cuir épais, les meurtrissures qui lui sont infligées n’en sont pas moins cuisantes. « Tu n’es pas Raspoutine. Tu es mon Mazarin », le console le président alors que la presse l’affuble de toutes sortes d’épithètes.

Collaborateur fidèle, il travaille à changer le Gabon conformément au projet de son patron, mais sous les imprécations d’une classe politique qui n’en demandait pas tant. Dans la sphère privée, c’est aussi lui qui s’occupe de tout. Quand il a fallu exhumer et déplacer la sépulture d’Omar Bongo Ondimba pour les besoins du chantier de construction du mausolée de Franceville, et que les rangs des volontaires au sein de la famille se sont clairsemés, ce fut encore lui.

Ses proches en sont convaincus, c’est le président que l’on voulait embarrasser lorsque son directeur de cabinet a été arrêté, en août 2015, à l’aéroport parisien de Roissy. Maixent Accrombessi a très mal vécu l’épisode. Lors de sa garde à vue, il s’est expliqué sur un contrat signé en 2005 entre la société française Marck, spécialisée dans la confection d’uniformes militaires, et le ministère gabonais de l’Intérieur pour un montant de 7 millions d’euros (la justice française soupçonnait que des commissions avaient été versées pour faciliter l’attribution du marché). Le dossier est toujours pendant, telle une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. À l’heure des comptes, ce descendant de roi dahoméen dirait pour sa défense, à l’instar de Béhanzin dans son discours d’adieux, « je ne veux pas qu’aux portes du pays des morts le douanier trouve des souillures à mes pieds ».

Gouvernement « bis »

Au Gabon, même si la Constitution ne fait pas mention de son existence et si aucune règle juridique n’encadre son organisation, le cabinet du président est un véritable lieu de pouvoir. Son directeur bénéficie de larges prérogatives, mais toujours en proportion de la confiance que lui accorde le chef de l’État. Successeur de Maixent Accrombessi, l’éphémère Martin Boguikouma (octobre 2016-août 2017) a payé son peu d’affinités avec Ali Bongo Ondimba. L’influence de Brice Laccruche Alihanga était en revanche inédite, puisqu’il a également été porté à la tête du cabinet politique du président du Parti démocratique gabonais (PDG). Au point que le cabinet donne l’impression d’être un gouvernement « bis » et le « dircab » un Premier ministre sans le titre.

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