Présidentielle en Algérie : la campagne inaudible de cinq candidats contestés

Alors que la campagne électorale a débuté dimanche 17 novembre, les candidats à la présidentielle du 12 décembre auront à faire face, à chacune de leurs apparitions publiques, à des manifestants qui rejettent le principe même de ce scrutin.

Le candidat à l’élection présidentielle Ali Benflis, lors d’une conférence de presse le 26 septembre à Alger. © Louiza Ammi/ABACAPRESS.COM

Le candidat à l’élection présidentielle Ali Benflis, lors d’une conférence de presse le 26 septembre à Alger. © Louiza Ammi/ABACAPRESS.COM

Publié le 17 novembre 2019 Lecture : 5 minutes.

La vidéo de la scène a fait le tour des réseaux sociaux algériens. Samedi 2 novembre, au lendemain de grandes manifestations et quelques heures seulement après la validation de sa candidature à la présidentielle du 12 décembre par la toute nouvelle Autorité des élections, des citoyens conspuent Ali Benflis à la sortie d’un restaurant de la banlieue d’Alger et l’obligent à quitter les lieux. Le candidat aura bien essayé de discuter avec les mécontents, qui lui reprochent de participer à une élection que la rue refuse. En vain.

L’ancien chef du gouvernement ne s’attendait probablement pas à pareil accueil. Son équipe souligne la volonté de dialogue affichée par Ali Benflis dans la vidéo et tente de relativiser l’incident. « Toute personne qui fait de la politique doit faire face à des contestations, à des citoyens qui ne l’aiment pas. Nous ne croyons pas à l’exercice de la politique sur un tapis rouge », a ainsi tempéré Chakib Kouidri, responsable de communication de la campagne d’Ali Benflis.

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Le 12 novembre, c’est un autre incident qui a rappelé l’hostilité de la rue à l’égard du rendez-vous électoral. À Tindouf, dans le sud-est du pays, des citoyens organisent un rassemblement en face d’une salle où le candidat Abdelkader Bengrina, ancien ministre du Tourisme du président déchu Abdelaziz Bouteflika, anime une rencontre. Dans une vidéo largement relayée sur Facebook, une dizaine de personnes cantonnées sur le trottoir derrière un cordon de police le somment de « dégager ».

Ces épisodes plantent le décor d’une campagne électorale qui a débuté ce 17 novembre. Et qui s’annonce houleuse. Les candidats et leurs équipes auront à faire face à des manifestants qui battent le pavé depuis presque neuf mois et à évoluer dans un climat de rejet total d’un scrutin que la rue considère comme un plan de sauvetage du régime algérien. Surtout depuis l’annonce des cinq candidats retenus : deux anciens chefs du gouvernement et deux anciens ministres de Bouteflika, ainsi qu’un ancien député FLN. « Le régime fait tout pour tenir une élection qui aurait pu être l’occasion d’une réforme radicale. Mais le pouvoir veut en faire une opération de renouvellement du régime, comme cela a toujours été le cas », explique Adel Ourabah, docteur en sciences politiques et en relations internationales à Alger.

Passage en force

« Dégage Gaïd Salah, il n’y aura pas d’élection cette année ! » a été l’un des slogans les plus repris lors des gigantesques manifestations du vendredi 1er novembre, coïncidant avec le 65e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération. Ce jour-là, la mobilisation est comparable à celle des premières semaines du mouvement.

Le rejet massif par le peuple est visible et s’exprime presque quotidiennement

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Outre le départ du chef d’état-major de l’armée, qui insiste pour que l’élection du 12 décembre se tienne, la rue exige, comme chaque vendredi et chaque mardi depuis le 22 février, le retrait de toutes les figures associées à l’ancien président comme préalable à toute solution politique. Des appels à intensifier la contestation durant la campagne ont également été lancés sur les réseaux sociaux pour essayer de faire échouer le scrutin, comme ce fut le cas pour la présidentielle du 4 juillet, annulée. « S’il y a élection le 12 décembre, ce sera nécessairement un passage en force, car le rejet massif par le peuple est visible et s’exprime presque quotidiennement », analyse Adel Ourabah.

Condamnation des porteurs du drapeau amazigh

La condamnation de prisonniers d’opinion a alourdi un peu plus l’atmosphère, déjà pesante. Alors que certains s’attendaient à des mesures d’apaisement à quelques jours du début de la campagne électorale, le tribunal de Sidi Mhamed, à Alger, a prononcé le 7 novembre des peines allant jusqu’à un an de prison, dont six mois ferme, à l’encontre de 27 manifestants qui avaient brandi le drapeau berbère. « Atteinte à l’unité nationale », ont estimé les juges. Le verdict a choqué la rue, qui a largement affiché sa solidarité avec les détenus depuis leur arrestation. Des avocats et des juristes expliquent de leur côté qu’aucune loi n’interdit de brandir un autre emblème que le drapeau national. Certains tribunaux ont d’ailleurs acquitté des manifestants poursuivis pour les mêmes faits.

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Face à l’obstination des protestataires, le pouvoir a recours à de vieilles recettes. Des contre-manifestations rassemblant quelques dizaines de personnes ont été organisées dans plusieurs villes, généreusement relayées par la télévision gouvernementale. Laquelle a cessé de couvrir les marches du mouvement populaire depuis plusieurs mois. Le mot d’ordre de ces rassemblements « spontanés » ? Soutenir le chef d’état-major des armées et la tenue des élections.

Pas de sociétés de sécurité privées

« Je suis prêt à aller vers ceux qui refusent l’élection, tout comme vers ceux qui la soutiennent », a déclaré quant à lui Ali Benflis dans un entretien télévisé. Celui-ci a tenu deux meetings au premier jour de campagne : à Tlemcen puis à Tamanrasset. Au total, le candidat malheureux aux présidentielles de 2004 et de 2014 compte parcourir 35 wilayas en 21 jours de campagne et organiser des rassemblements dans une trentaine de villes.

Les équipes des candidats maintiennent qu’aucune mesure de sécurité particulière n’a été prise malgré le climat hostile. « Même en temps normal, les meetings requièrent des mesures spéciales. Nous n’avons donc rien changé en réaction au contexte actuel. Nous sommes restés dans la même logique », explique Chakib Kouidri.

Si l’élection finit par avoir lieu, il faudra s’attendre forcément à un faible taux de participation

Même son de cloche dans le camp d’Abdelaziz Bengrina. Son équipe explique que la sécurité du candidat sera assurée par les pouvoirs publics lors de ses déplacements, dont le planning sera publié deux jours avant le début de la campagne. En mars, avant l’annulation de la présidentielle d’avril et la démission d’Abdelaziz Bouteflika, ses équipes avaient opté pour une stratégie différente : annoncer les meetings à la dernière minute et exiger la présentation d’une invitation nominative pour accéder à la salle. « Il faut des permis pour tenir des meetings, et l’État s’occupe aussi d’assurer la sécurité des candidats », indique Abderrahmane Meguel, responsable de la communication du candidat, excluant l’idée de recourir à des sociétés de sécurité privées.

Risques de heurts

Malgré l’assurance affichée par les staffs de campagne, tous restent évasifs sur la possibilité d’un échange entre les candidats et les manifestants. Et pour cause : beaucoup d’observateurs craignent des heurts, même si le mouvement a conservé jusqu’ici un caractère pacifique.

« L’affrontement n’est pas exclu », estime ainsi Adel Ourabah. « Même en temps normal, il y a une tension autour des élections. C’était déjà le cas en 2014, les promoteurs du quatrième mandat de Bouteflika avaient rencontré beaucoup de difficultés pour organiser les meetings », a-t-il rappelé. Et d’ajouter : « Si l’élection finit par avoir lieu, il faudra s’attendre forcément à un faible taux de participation et à un président mal élu et donc illégitime. Il aura d’abord à faire face au mécontentement de la rue. Vu la ténacité du mouvement de protestation, je l’imagine mal s’arrêter le 12 décembre. Bien au contraire, je pense qu’il va se structurer d’une façon mature et prometteuse. »

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