Présidentielle en Algérie : la difficile campagne du candidat Abdelmadjid Tebboune

Favori du scrutin il y a encore un mois, l’ancien Premier ministre, présenté comme le candidat du pouvoir, a vu sa campagne singulièrement plombée…

Le candidat, à Alger, le 26 octobre. A sa droite, Abdallah Baali, qui a démissionné le 17 novembre. © Billel Bensalem/APP

Le candidat, à Alger, le 26 octobre. A sa droite, Abdallah Baali, qui a démissionné le 17 novembre. © Billel Bensalem/APP

FARID-ALILAT_2024

Publié le 10 décembre 2019 Lecture : 9 minutes.

Drôle de campagne… Les panneaux électoraux restent désespérément vides ; aussitôt collées, les affiches des candidats sont arrachées. Les meetings se déroulent dans des salles désertes, et les prétendants à la magistrature suprême ne peuvent se déplacer sans déploiement des forces antiémeutes. Pour Abdelmadjid Tebboune, c’est encore pire. Le 20 novembre, l’ancien Premier ministre et candidat apprend par voie de presse que deux de ses amis, qui auraient financé une partie de sa campagne, ont été placés sous mandat de dépôt à la prison d’El Harrach.

Sous le coup de plusieurs enquêtes lancées depuis deux ans, l’homme d’affaires Omar Alilat [aucun lien de parenté avec l’auteur de ces lignes], ex-député – surnommé « Omar la fourchette » pour son grand appétit pour le business – , et l’ex-conseiller à la présidence Zine Hachichi sont poursuivis dans le cadre d’affaires de corruption présumée liées à des sociétés étrangères actives en Algérie. La nouvelle de leur mise en détention fait l’effet d’une déflagration.

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Passé le choc et la stupeur, l’équipe de campagne installée dans une villa sur les hauteurs d’Alger tente de circonscrire le feu. Déminer, démentir ou, à tout le moins, atténuer l’importance des liens entre Abdelmadjid Tebboune et les deux prévenus. Pas un dinar de son fonds de campagne ne provient de leur poche, jure-t-on. L’ancien Premier ministre les connaît à peine. Quatre jours plus tard, dans les colonnes d’El Khabar, Tebboune livre sa version des faits.

Défections

Il connaît l’homme d’affaires Omar Alilat comme il connaît « des milliers d’autres personnes ». Le parallèle établi entre son emprisonnement et la campagne électorale ? Un complot pour torpiller sa candidature, comme à l’été 2017 lorsqu’il avait été limogé quatre-vingt-huit jours seulement après sa nomination à la tête du gouvernement. Le candidat dit-il vrai ? Malgré un accord de principe, il n’a pas souhaité donner suite à nos multiples demandes d’entretien. Si aucun lien direct ou indirect n’existe à ce jour entre la candidature de Tebboune et les chefs d’inculpation retenus à l’encontre d’Alilat et de Hachichi, leur incarcération est tombée au mauvais moment. L’avant-veille, le directeur de campagne claquait la porte du QG, moins de deux mois après son arrivée.

Abdallah Baali, ancien ambassadeur en Indonésie, en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux Nations unies et aux États-Unis, avait rejoint le staff de Tebboune par l’entremise d’Abdelkader Messahel, ancien ministre des Affaires étrangères, pilier du clan Bouteflika. L’arrivée de ce diplomate, chevronné et apolitique, avait été interprétée comme le signe évident d’un soutien du pouvoir.

Le candidat Abdelmadjid Tebboune lors d'une conférence de presse, dimanche 24 novembre 2019 à Alger. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

Le candidat Abdelmadjid Tebboune lors d'une conférence de presse, dimanche 24 novembre 2019 à Alger. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

Baali est parti lorsqu’il a découvert l’ampleur des financements occultes

Deux versions divergentes sont livrées pour expliquer le départ tonitruant de Baali. « Erreur de casting », assène un membre de l’équipe Tebboune : « Il était perdu au sein de notre équipe, il ne vient pas du monde de la politique, a toujours vécu dans les palaces, n’a jamais mouillé la chemise dans une élection. Il est parti de lui-même. » L’autre version étaie les soupçons d’une connexion avec les milieux d’affaires. « Baali est parti lorsqu’il a découvert l’ampleur des financements occultes, confie une source proche du diplomate. Il a pris peur, lui qui n’est pas habitué à ses pratiques. »

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Dans un cas comme dans l’autre, la défection de Baali fragilise une candidature déjà chancelante, tant elle apparaît comme un lâchage de la part du pouvoir. Agacé, Tebboune accuse ceux qui ont orchestré son éviction du gouvernement d’être derrière le charivari fait autour du départ de son directeur de campagne. Un malheur n’arrivant jamais seul, Lamine Messaïd, successeur de Baali, s’est fait subitement porter pâle quelques jours après sa nomination. Une « grippe diplomatique », raillent ceux qui se réjouissent de voir la campagne de Tebboune prendre l’eau. L’ancien Premier ministre a-t-il été un jour le candidat désigné du pouvoir ? A-t-il jamais obtenu l’appui explicite d’Ahmed Gaïd Salah, nouvel homme fort du régime ?

« L’armée ne soutient personne »

Le 29 septembre, depuis Oran, le chef d’état-major assure que « l’armée ne soutient personne ». Le 1er novembre, lors de la traditionnelle cérémonie commémorant le début de la guerre d’Indépendance, Ahmed Gaïd Salah tient le même discours à une vieille connaissance qui le sonde. « Nous ne sommes ni avec Tebboune ni avec un autre. Les urnes décideront », répond le vice-ministre de la Défense.

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Le même message est passé aux chancelleries occidentales, dont le Quai d’Orsay. Emboîtant le pas à Gaïd Salah, la revue El Djeïch – publication officielle du ministère de la Défense – affirme en octobre que « l’ère des diktats de la fabrication des présidents est définitivement révolue ». Un général à la retraite assure à JA que « le jeu est ouvert ». Ses récents contacts auprès du haut commandement de l’armée jurent, la main sur le cœur, que la présidentielle sera transparente.

Mais quid de l’administration ? Deux préfets nous confirment n’avoir reçu « aucune instruction ». D’autres notent que Khaled Tebboune, l’un des fils du candidat – lequel a un autre garçon et deux filles – , est incarcéré à la prison d’El Harrach depuis juin 2018, pour son implication présumée dans le scandale Kamel Chikhi alias El Bouchi, importateur de viande et promoteur immobilier accusé de verser dans le trafic de cocaïne.

La justice a requalifié ses chefs d’inculpation, les faisant passer de délit relevant du correctionnel au délit criminel. Et, le 5 décembre, soit une semaine avant le scrutin, Khaled Tebboune était entendu par le substitut du procureur de la République près le tribunal de Sidi M’hamed… L’entourage du père y voit la preuve que le candidat ne bénéficie ni de passe-droit ni de coupe-file vers El Mouradia.

« Conseil de famille »

De l’aveu même d’Abdelmadjid Tebboune, lui-même et d’autres membres de sa famille auraient pu se retrouver derrière les barreaux, sur instigation de la « Issaba », terme communément utilisé pour désigner les hommes d’affaires qui gravitaient autour de Bouteflika. Plusieurs sources nous racontent comment l’ancien président s’était lui-même opposé à l’arrestation de son ex-Premier ministre.

Tebboune disposait alors de fervents partisans dans l’entourage immédiat du raïs : la sœur Zhor, le frère Nacer et le neveu, Karim Benmansour, à l’influence décuplée durant le quatrième mandat. C’est ce même « conseil de famille » qui avait promu à la chefferie du gouvernement, en 2017, la candidature de celui qui était alors ministre du Commerce.

L'ex-Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle en Algérie, Abdelmadjid Tebboune, le 3 avril 2017 à Alger (image d'illustration). © Sidali Djarboub/AP/SIPA

L'ex-Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle en Algérie, Abdelmadjid Tebboune, le 3 avril 2017 à Alger (image d'illustration). © Sidali Djarboub/AP/SIPA

À l’époque, la famille songe à préparer la succession du vieux moudjahid, et cherche la personne idoine au sein du clan présidentiel, soit celle qui protégerait ses intérêts après la disparition du chef de l’État. Zhor, seule en contact permanent avec son frère aîné, explique que Tebboune est « aimé des Algériens ». « Très populaire sur les réseaux sociaux », ajoute Benmansour. Quant à Nacer, il le juge « fidèle et loyal ».

Aussitôt nommé à la primature, il déclare la guerre à l’argent sale. Dans son viseur : les hommes d’affaires du privé

Affaire conclue. Le 24 mai 2017, Abdelmadjid Tebboune remplace Abdelmalek Sellal au Palais du gouvernement. Aussitôt nommé, il déclare la guerre à l’argent sale. Dans son viseur : les hommes d’affaires du privé, Ali Haddad en tête. Ce dernier, PDG du groupe privé ETRHB et patron du Forum des chefs d’entreprise (FCE), principal syndicat patronal, est un ami proche de Saïd Bouteflika. La riposte des deux hommes ne se fait pas attendre. Pendant des semaines, une féroce campagne de presse s’abat sur le Premier ministre. Lequel, imprudent, fournit à ses détracteurs les armes pour l’abattre.

Deux mois à peine après son arrivée rue Docteur-Saâdane, Tebboune s’offre des vacances à Nice, en compagnie du député Omar Alilat et d’un autre homme d’affaires. Le 7 août, à Paris, il s’entretient avec le Premier ministre français, Édouard Philippe, à qui il glisse être un prétendant sérieux à la succession de Bouteflika en 2019, grâce au soutien de l’armée. Quelques heures plus tard, tandis qu’il s’envole pour la Turquie et la Moldavie, à bord d’un jet privé affrété par des businessmen turcs, ses propos sont répétés à Alger. Ses opposants les font fuiter dans des médias. Tebboune est limogé à son retour de vacances, le 15 août.

Au placard

Durant deux ans, l’homme fait le dos rond. Portable coupé, silence monastique, pas une déclaration, pas une apparition publique. L’énarque, plusieurs fois wali dans les années 1970-1980, se met en réserve de la République. Tebboune ne sort de sa retraite qu’en septembre pour se porter candidat. Et régler ses comptes ? En meeting, l’homme répète être un homme libre. Il promet d’en finir avec la « bande mafieuse ». Opportunément, les photos de l’escapade moldave réapparaissent.

Face à ses quatre rivaux – Ali Benflis, Azzedine Mihoubi, Abdelkader Bengrina et Abdelaziz Belaïd – , Tebboune, 73 ans, apparaît ainsi comme le plus lié à l’ancien régime, auquel il doit son ascension, dans la préfectorale d’abord, puis en politique. Ses parents – une mère paysanne et un père militaire originaires des Hauts Plateaux de l’Ouest – connaissent les Bouteflika depuis les années 1950, assurent des témoins de l’époque. Le natif de Naâma, lui, entre une première fois au gouvernement en 1991, sous Sid Ahmed Ghozali, comme ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur. Il y reste quelques mois. Retiré de la politique, il maintient le lien avec Abdelaziz Bouteflika, alors en exil. Ce dernier lui en sera reconnaissant.

Dès son élection à la présidence, en 1999, Bouteflika lui confie le ministère de la Communication. Là encore, l’expérience tourne court. Six mois. Suffisant pour cultiver une grande proximité avec les journalistes. De retour au gouvernement en 2000, comme ministre délégué auprès du ministère de l’Intérieur, il est mis au placard par le puissant Yazid Zerhouni, sa tutelle.

L’ombre de Bouteflika

« Les rapports entre eux étaient exécrables, témoigne l’un de ses amis. Zerhouni le soupçonnait de vouloir lui piquer sa place, voire celle du Premier ministre. » Bouteflika le repêche en 2001. Direction l’Habitat pour réaliser le programme de millions de logements promis par le président. Un an plus tard, l’affaire Khalifa éclate. Tebboune est alors soupçonné d’avoir ordonné le dépôt des fonds des Offices de promotion et de gestion immobilières (Opgi) dans les banques faillies de Khalifa.

Abdelmadjid est un homme sérieux qui ne se prend pas au sérieux

Interrogé comme témoin à l’époque, Tebboune clame aujourd’hui son innocence. Et jure que cette affaire a été fabriquée de toutes pièces pour lui porter préjudice. Elle lui aura coûté dix ans de traversée de désert. Jusqu’en 2012, lorsque, à l’orée du quatrième mandat, Abdelaziz Bouteflika lui restitue les clés de l’Habitat. Le ministre doit mener à leur terme les programmes de construction de logements sociaux et intermédiaires. Et réaliser la Grande Mosquée d’Alger – surnommée Mosquée de Bouteflika – , la troisième plus grande du monde, pour un budget de 1,2 milliard d’euros. Ce chantier et l’affaire Khalifa sont aujourd’hui exhumés comme signe de la proximité du candidat avec l’ancien régime.

Tebboune se défend d’être une relique. Ses amis et ses anciens collègues du gouvernement jugent odieuse la cabale menée à son encontre. « Abdelmadjid est un homme sérieux qui ne se prend pas au sérieux », philosophe un ancien ministre. Ceux qui ont croisé sa route le décrivent comme un homme bien sous tous rapports : bon vivant, bosseur, de commerce agréable, doté d’une grande capacité d’écoute, un commis de l’État expérimenté. Ne reste plus qu’à en convaincre les électeurs.

Un projet, 54 engagements

Les grands axes du programme d’Abdelmadjid Tebboune….

• Large révision de la Constitution.

• Reformulation du cadre juridique des élections.

• Renforcement de la bonne gouvernance à travers la séparation du monde des affaires et de la politique.

• Mise en place de mécanismes garantissant la probité et le contrôle des responsables publics.

• Réforme globale de la justice, de l’organisation territoriale et de la gestion de l’administration locale.

• Application d’une nouvelle politique de développement hors hydrocarbures.

• Reconstitution des réserves de change en substituant des produits locaux aux produits importés.

• Promotion des start-up et développement du partenariat public-privé.

• Relance du secteur du tourisme avec l’ouverture de nouvelles lignes de compagnies low cost.

• Assouplissement des procédures d’obtention de visas touristiques.

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