Madagascar hausse le ton sur les mines

La révision du code minier et la suspension du projet de Base Toliara marquent le souhait des autorités de mieux défendre les intérêts du pays. Au détriment, peut-être, de son attractivité.

Ambatovy est l’une des plus grandes mines de nickel du monde, avec 60	000 t produites par an. © Rijasolo/Riva Press

Ambatovy est l’une des plus grandes mines de nickel du monde, avec 60 000 t produites par an. © Rijasolo/Riva Press

Publié le 28 janvier 2020 Lecture : 4 minutes.

Usine de la mine d’or de Tongon, en Côte d’Ivoire, exploitée par la compagnie Randgold (devenu Barrick ; photo d’illustration). © Olivier pour JA
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Mines en Afrique : le grand bouleversement

Du défi de la sécurité pour les miniers au Sahel, en passant par les changements à l’œuvre dans la filière diamant en Angola, où la commercialisation des pierres a été libéralisée, ainsi qu’à Madagascar, où le gouvernement veut faire le ménage pour défendre ses intérêts, avec un nouveau code minier, Jeune Afrique s’arrête sur les grandes tendances du secteur, en commençant par le point de vue de Mark Bristow, figure de proue du secteur aurifère.

Sommaire

Le secteur malgache des mines vit une période charnière. Le gouvernement souhaite réviser le code minier et s’est montré offensif en suspendant le projet d’extraction de sables minéralisés mené par Base Toliara, filiale de la compagnie australienne Base Resources, dont l’investissement est pourtant estimé à 0,5 milliard de dollars. Au risque de nuire à l’attractivité du pays ?

« Soixante ans après l’indépendance, le secteur minier n’a pas eu d’impact palpable sur l’économie et encore moins sur le quotidien de la population, qui habite pourtant sur des terres regorgeant de richesses », assène le ministre des Mines, Fidiniavo Ravokatra. En 2018, le secteur a compté pour 27,59 % des exportations, pour 4,62 % des recettes fiscales, et représenté 4,41 % du PIB, selon le rapport de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Eiti).

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Pour le pouvoir, réviser le code minier devrait permettre de changer enfin la donne. L’avant-projet de loi validé en Conseil de gouvernement le 20 novembre 2019 doit passer devant le Parlement entre mars et mai, après des consultations. Parmi les principales mesures proposées, l’augmentation de la fiscalité et la rétrocession à l’État d’au moins 20 % des minerais extraits des exploitations.

Un chiffre d’affaires annuel de 248,2 millions de dollars

« Une telle fiscalité tuerait la viabilité financière des projets miniers », affirmait pourtant à Jeune Afrique une source proche de la Chambre des mines de Madagascar, à la fin de décembre dernier. L’Organisation de la société civile sur les industries extractives (Oscie) regrettait quant à elle l’absence de prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux.

QMM paie jusqu’à 6 millions de dollars de taxes et 1,3 million de royalties chaque année

Dans ce contexte, la suspension du projet Base Toliara le 6 novembre dernier apparaît comme une autre illustration de la reprise en main du secteur par l’État. Le gouvernement, qui a interdit à l’entreprise de communiquer, lui reproche de ne pas avoir fourni assez d’informations et de ne pas avoir établi un climat de confiance avec les communautés affectées par l’exploitation. « On risque à tout moment un soulèvement populaire », se justifie aujourd’hui le ministre. Des arguments réfutés par la société en question, mais aussi par plusieurs sources au fait du dossier.

Plusieurs chancelleries étrangères, bailleurs de fonds et investisseurs scrutent la résolution de ce conflit avec la plus grande attention. La maison mère, Base Resources, cotée à la Bourse de Sydney, a vu son cours chuter de 12 % juste après l’annonce de la suspension. Les travaux devaient commencer au début de cette année dans le gisement situé dans le sud-ouest du pays, près de Tuléar, pour extraire de l’ilménite, du zircon, et du rutile. La production, planifiée sur plus de trente ans, devait, elle, débuter en 2022. Selon l’étude de faisabilité définitive, publiée le 12 décembre, Base Toliara anticipait un chiffre d’affaires annuel de 248,2 millions de dollars, pour un flux de trésorerie disponible de 132,4 millions de dollars.

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Saphir, rubis, quartz… font naître chaque jour des vocations

À Fort-Dauphin, dans le Sud, où QIT Madagascar Minerals (QMM, dont 80 % appartiennent à Rio Tinto) extrait de l’ilménite (381 900 t attendues par an), du zircon et de la monazite depuis 2008, l’État, qui détient 20 % du projet, entend aussi défendre ses intérêts. Il a indiqué à la fin de novembre dernier vouloir auditer la mine après que Rio Tinto a exprimé le souhait de procéder à une augmentation de capital. Ce site, dans lequel 1 milliard de dollars ont été investis, emploie 2 000 salariés. « QMM paie jusqu’à 6 millions de dollars de taxes et 1,3 million de royalties chaque année », souligne la société à JA.

La situation est en revanche sereine à Ambatovy, où le consortium réunissant le canadien Sherritt, le japonais Sumitomo Corporation, et l’entreprise d’État sud-coréenne Korea Resources Corporation, qui y a investi 8 milliards de dollars, produit du nickel (environ 60 000 t attendues par an) et du cobalt (5 600 t).

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S’il s’est montré ferme avec les groupes industriels, le gouvernement reste pour le moment plus discret en ce qui concerne l’exploitation artisanale du sous-sol. L’extraction de saphir, rubis, spinelle, chrysobéryl, quartz, béryl, grandidiérite… suscite chaque jour de nouvelles vocations. À Ilakaka, la capitale malgache du saphir, les retombées du secteur extractif sont, il est vrai, bien visibles. On y trouve, par exemple, davantage d’écoles que la moyenne nationale. Et les enfants ne sont pas employés dans ces mines locales à ciel ouvert dont les pierres sont le plus souvent revendues à des acheteurs sri-lankais et thaïlandais.

40 000 exploitants actifs sur le gisement d’Ilakaka

« La qualité des pierres de Madagascar est désormais mondialement reconnue », se félicite Guillaume Soubiraa, partenaire chez Colorline, une entreprise de négoce et de lapidairerie située à Ilakaka. Le gisement de 120 km de côté accueille environ 40 000 exploitants. En revanche, un travail important attend les pouvoirs publics dans le secteur aurifère, principalement informel. « Il est nécessaire de recenser et de formaliser les exploitations artisanales, ainsi que les sociétés de négoce qui exportent l’or », explique Gerald Jaonary, directeur des opérations de l’Agence nationale de la filière Or Madagascar (Anor). Les 2,4 t d’or exportées officiellement en 2019 ne représentent en effet qu’une petite partie des quantités extraites, et nombreux sont les acteurs locaux et étrangers qui s’enrichissent grâce au trafic.

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