Gaël Faye : « Je ne m’étais pas rendu compte à quel point Petit Pays était violent »

Alors que le film tiré de son roman sort ce 28 août en France, en Belgique, en Suisse et au Québec, l’écrivain-rappeur revient sur le parcours qui fit de lui un témoin privilégié de l’Histoire, dans le chaudron incandescent du Rwanda et du Burundi des années 1990.

Gaël Faye, le 19 février à Paris. © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

Gaël Faye, le 19 février à Paris. © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

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Publié le 4 mars 2020 Lecture : 11 minutes.

Le titre de son roman, partiellement autobiographique, s’imprime au singulier. Pourtant, Petit Pays se conjugue au pluriel. Dans le cœur et dans l’œuvre de Gaël Faye, les faux jumeaux des Grands Lacs, le Rwanda et le Burundi, se font face et s’entrelacent, comme dans le film qu’Éric Barbier a tiré du best-seller du rappeur franco-rwandais devenu sans crier gare écrivain à succès.

Des tueries communautaires des années de braise, entre 1988 et 1995, il aura entraperçu toutes les facettes. Les « sans-échec », ces gangs tutsi chauffés à blanc, lorsque la guerre civile faisait rage au Burundi. Et les Interahamwe, ces miliciens hutu qui ont transformé le Rwanda en boucherie à ciel ouvert, d’avril à juillet 1994, décimant sa famille maternelle.

Gaël Faye a vécu sa préadolescence entre la vie confortable et insouciante d’un fils d’expatrié bohème, enivré par les effluves des manguiers et des bougainvilliers, et l’éruption volcanique de ses deux petits pays, qui a enseveli sous la lave une enfance heureuse. L’artiste a partagé leurs pires tourments, sans toujours en mesurer la portée, avant d’être contraint de rallier la France à l’âge de 13 ans.

Un exil dans lequel il s’est un temps perdu, avant de trouver sa voie dans la musique, puis, plus tardivement, dans la littérature. Toujours habité par les fantômes de l’Afrique lacustre, c’est dans un bar du 3e arrondissement de Paris, après deux années passées au Rwanda, qu’il revient longuement pour Jeune Afrique sur les blessures enfouies qui ont engendré deux Petit Pays.

Jeune Afrique : Un personnage du film lance au jeune Gaby : « Tutsi ? Français ? Choisis ! » Au Burundi, avez-vous dû vous positionner comme Hutu ou Tutsi, ou plutôt comme Tutsi ou Français ?

Gaël Faye : J’y ai vécu la dualité entre Hutu et Tutsi de manière feutrée. L’un de mes amis, un métis qui s’appelait Gino – comme le personnage du film – et qui était très au fait de la question ethnique, me conseillait, quand on allait se faire couper les cheveux à Buja, de dire que j’étais malgache. Le coiffeur était hutu, et Gino considérait que ça pouvait être dangereux pour nous.

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Pourtant, je ne me sentais pas en danger du fait que ma mère était une réfugiée rwandaise tutsi. Dans le contexte de l’époque, où Bujumbura était tenue par des gangs tutsi, c’est surtout le fait d’être en partie français qui m’a fait ressentir un risque.

Les jeunes de 12 ou 13 ans que vous fréquentiez à l’époque étaient-ils aussi politisés qu’on le ressent dans le film ?

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Comme je le raconte dans le roman, nous avions le sentiment d’être les supporters d’équipes de football antagonistes. Chacune avait ses signes de ralliement, ses couleurs… Jusqu’à l’élection de Melchior Ndadaye, en juin 1993, cette effervescence pouvait sembler bon enfant. Mais après son assassinat, quatre mois plus tard, les dissensions ont commencé à apparaître, même au sein de l’école française. Puis les choses se sont vraiment gâtées.

La plupart des films de fiction sur la région évoquent le Rwanda des années 1990-1994, où les Tutsi sont stigmatisés puis exterminés. Dans Petit Pays, Éric Barbier met aussi à l’écran l’extrémisme des milices tutsi burundaises…

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