Écotourisme : le Rwanda mise sur les ultra-riches

Kigali développe un tourisme de luxe aux marges élevées à l’intention d’une clientèle aisée, sensible aux enjeux de conservation et à l’environnement. Une recette qui a déjà fait ses preuves dans les pays voisins.

Des touristes marchent à travers la forêt dense dans le Parc National des Volcans, au nord du Rwanda, en 2015. © Ben Curtis/AP/SIPA

Des touristes marchent à travers la forêt dense dans le Parc National des Volcans, au nord du Rwanda, en 2015. © Ben Curtis/AP/SIPA

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Publié le 19 mars 2020 Lecture : 6 minutes.

«Visit Rwanda », une invitation qui sonne comme un impératif, floqué sur les maillots des joueurs de football de l’équipe anglaise d’Arsenal ou du Paris Saint-Germain depuis quelques mois. Visiter le Pays des mille collines, pour les millions de personnes ciblées par la campagne de sponsoring offensive du Rwanda Development Board (RDB) est devenu tendance.

Alors que le pays a accueilli 1,7 million de visiteurs en 2018, soit 8 % de plus que l’année précédente, le tourisme a généré 528 millions de dollars de revenus cette même année, contre 438 millions de dollars en 2017, selon les chiffres de la Banque mondiale. Et Kigali entend intensifier la promotion du secteur, puisque le pays vise 800 millions de dollars de revenus d’ici à 2024, et affûter sa stratégie pour accélérer son développement.

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Une image de pays verdoyant, propre et sûr

À côté du grand public, le pays soigne en effet sa réputation à l’attention du visiteur haut de gamme, à fort pouvoir d’achat et désireux de vivre une expérience exceptionnelle.

Avec l’image d’un pays verdoyant, propre et sûr, « le Rwanda vise à devenir la première destination d’écotourisme sur le continent africain et se construit une réputation de destination de luxe, de haute qualité et à faible empreinte », selon le RDB, piloté depuis 2017 par Clare Akamanzi (lire encadré ci-dessous).

C’est ainsi que Paul Kagame, en personne, a inauguré à la fin de février, aux côtés de Mohammed Al Shaibani, DG d’Investment Corporation of Dubai et président de Kerzner International, One&Only Gorilla’s Nest.

Un ensemble cinq étoiles composé de deux lodges et de cinq grandes suites (jusqu’à 400 m2), niché dans les contreforts de la chaîne des volcans des Virunga, entre le lac Édouard et le lac Kivu, au cœur d’une forêt d’eucalyptus.

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Le groupe du magnat sud-africain Sol Kerzner, aujourd’hui propriété des dubaïotes ICD, poursuit l’aventure au Pays des milles collines, moins de deux ans après l’ouverture du One&Only Nyungwe House, en bordure de la forêt tropicale Nyungwe, dans le sud du Rwanda.

Une formule lodge tourné « vers la mère nature »

« L’objectif du One&Only Gorilla’s Nest est d’offrir un séjour ultra-luxueux aux clients qui souhaitent découvrir les montagnes aux gorilles », explique Ashley McBain, vice-présidente communication du groupe hôtelier. Et, moyennant 3 500 dollars à 10 500 dollars environ par nuitée, les hôtes de ce complexe sont traités avec les meilleurs égards. Un héliport est même prévu pour transporter les clients directement depuis l’aéroport de Kigali-Kanombe, situé à vingt-cinq minutes de vol.

Kigali, au Rwanda. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Kigali, au Rwanda. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

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Pour le groupe Kerzner, qui a bâti sa réputation dans l’hôtellerie de luxe en dehors des frontières continentales (Atlantis The Palm de Dubaï ou Atlantis Paradise Island aux Bahamas), la formule lodge tourné « vers la mère nature » semble fonctionner en Afrique.

Sa chaîne One&Only est d’ailleurs présente à Maurice, en Afrique du Sud, et depuis octobre 2018 au Rwanda. D’autres marques, dans le même esprit, l’ont précédé : Bisate et Magashi Lodges, du botswanais Wilderness Safaris (102 millions d’euros de CA en Afrique en 2017-2018), et Kwitonda Lodge, inauguré en août dernier après un investissement de 25 millions de dollars par le sud-africain Singita – soutenu par le milliardaire et philanthrope américain Paul Tudor Jones et qui détient également Kataza House, au Rwanda.

Ces investisseurs, Wilderness et Singita en particulier, déclinent au Rwanda un modèle qui a fait ses preuves en Afrique australe et ­en Afrique orientale.

Faible volume, faible impact écologique

Les parcs nationaux de Tanzanie et du Kenya voisins, du Mozambique et d’Afrique du Sud comptent eux aussi de nombreux hébergements haut de gamme destinés aux « UHNWI » (acronyme financier pour désigner les individus qui possèdent une fortune nette ultra-élevée). Service personnalisé, hébergement de luxe, vues fabuleuses, large offre de restauration, souvent un spa, se retrouvent également dans ces destinations.

« Ils répondent aux besoins d’une clientèle en quête d’un logement de luxe couplé à l’une des expériences les plus incroyables d’Afrique », analyse Trevor Ward, directeur général du groupe nigérian W Hospitality et spécialiste du secteur, en référence à l’observation des derniers gorilles des montagnes dans leur habitat naturel au Rwanda. « De plus, la ­formule “lodge” correspond au cahier des charges de l’écotourisme : faible volume, faible impact », décrypte Trevor Ward.

Lors de l’inauguration du dernier cinq étoiles à la fin de février, Clare Akamanzi, CEO du Rwanda Development Board – créé en 2009 par l’État pour coordonner, stimuler et promouvoir le développement économique national –, a indiqué que Kigali travaillait au renforcement des capacités du secteur privé pour fournir des niveaux de service de premier ordre, ainsi qu’à la préservation continue de l’écosystème pour attirer des investisseurs de cet acabit.

Un secteur perçu comme un important générateur d’emplois

Pour ce faire, le pays déploie une série d’investissements de fond : 400 millions de dollars pour le nouvel aéroport Bugesera, au sud de Kigali, 52 millions de dollars pour attirer les marques Singita Rwanda, Nyungwe House et Gorillas Nest Lodge en 2017, amélioration des infrastructures hospitalières…

Le Rwanda est un pays enclavé, sans façade maritime, et doit donc regarder vers ses ressources intérieures pour faire croître son économie. « Les atouts naturels sont abondants, et le gouvernement a encouragé le développement du tourisme comme générateur d’emplois et pour gagner des échanges étrangers », commente encore Trevor Ward.

Mentionnant le Kigali Convention Centre, il poursuit : « C’est un bon exemple d’intervention et d’encouragement de l’État, pour que la ville puisse attirer des conférences régionales et internationales qui remplissent les hôtels et soutiennent les emplois. » Sous une immense coupole, l’infrastructure inaugurée en 2016 et gérée par Radisson offre un centre de conférences de standing international doté d’une capacité d’accueil de 2 600 personnes.

Le tourisme d’affaires, cet autre volet de la politique touristique rwandaise, est lui aussi axé sur la haute rentabilité. De 2014 à 2018, le nombre de cinq étoiles à même d’accueillir une clientèle de voyageurs d’affaires est passé de un à cinq.

De la tragédie au succès

Ce qui a conduit les revenus du marché du tourisme de conférence à croître de 33 millions de dollars en 2014 à 55 millions de dollars en 2018.

« Au cours des vingt-cinq dernières années, le Rwanda est passé d’un pays tristement connu pour la tragédie que nous avons vécue à l’un des pays les plus dynamiques grâce à son énergie, sa créativité et ses innovations », avait déclaré Clare Akamanzi à l’occasion de la signature du contrat de sponsoring avec le PSG au début de décembre. En 2018, le pays a reçu le Prix du leadership mondial du Conseil mondial du voyage et du tourisme. Une première.

Reste à savoir l’impact que l’épidémie de coronavirus aura sur le secteur, alors que le Rwanda avait enregistré 11 cas le 18 mars au soir et que des mesures de limitation des activités commencent à être prises (fermeture des écoles et des lieux de culte, suspension des vols de la compagnie nationale, Rwandair, vers la Chine, Israël et l’Inde…). Dans la RDC voisine, le Parc national des Virunga a annoncé la suspension, du 23 mars au 1er juin, des safaris sur les traces des gorilles des montagnes.

Clare Akamanzi, une quadra aux commandes

Négociatrice pour le Rwanda à l’OMC avant de rejoindre le staff diplomatique de l’ambassade au Royaume-Uni, Clare Akamanzi est devenue en 2006 directrice générale adjointe du Rwanda Investment and Export Promotion Agency, renommé depuis Rwanda Development Board (RDB).

Cette agence gouvernementale réunit les organismes publics dévolus à l’enregistrement des entreprises, à la promotion des investissements, aux autorisations environnementales, et à la privatisation ainsi que les agences spécialisées qui soutiennent les secteurs prioritaires, tels le tourisme ou les PME.

Depuis février 2017, Akamanzi est DG du RDB. À ce titre, cette avocate de formation âgée de 41 ans est notamment chargée de superviser la politique de croissance du secteur touristique du pays. Elle est épaulée sur ce point par sa directrice du Tourisme, Belise Kariza, ancienne de Heineken.

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